Bulletin n°19

« Le Premier cercle de l’égrégore », épisode 2 – par Francis Cohen

A propos de Puységur : La Grande Bibliothèque, Flammarion « Textes », 1983.

… Je lis des livres pour comprendre le « roman » de Puységur. Les femmes pourront témoigner ou ironiser. Ces livres sont tous dans le roman, mais le second livre que j’ai lu après Mélusine n’est pas dans La Grande Bibliothèque, c’est Le Magnétiseur amoureux du marquis de Puységur. J’ai pensé que le livre du marquis m’éclairerait sur le roman puisque, dans la « Note sur Puységur » qui figure dans la troisième partie de La Grande Bibliothèque, est mentionné, par Pierre Madaule, le nom du marquis « qui, à la fin du siècle des Lumières, renouvela les idées, alors passablement confuses et déjà discréditées, sur le magnétisme animal. » 

Le livre du marquis est édité en 1824, à Paris, chez Dentu libraire, avec l’exergue suivant : « Comme Horace, je crois qu’on peut avec gaieté aux hommes dire tout, même la vérité. » L’exergue de La Grande Bibliothèque est de Maurice Blanchot : « … car un seul livre en péril fait une dangereuse brèche dans la bibliothèque universelle. » 

Un livre est toujours là, dans l’attente de sa lecture mais, précise Maurice Blanchot dans Lire, dont est extrait cet exergue, la lecture n’interroge jamais « la vérité » du livre. La vérité n’est pas l’objet de la lecture. « La lecture véritable ne met jamais en question le livre véritable », la lecture véritable n’est pas la lecture de la vérité et les femmes qui incarnent les livres simulent la vérité de la lecture, certaines mieux que d’autres. 

Dans la préface, le marquis, par un souci de justice et de vérité, se dit obligé de faire à ses lecteurs deux « déclarations très importantes » : 

« La première est, que le Roman que je leur présente aujourd’hui sous les noms de Caroline et Valcourt, est, quant à la forme, et en très grande partie quant au fond, le même ouvrage qui fut composé, imprimé en 1787, à Besançon, et non publié sous le titre du Magnétiseur amoureux.
« Voilà pour satisfaire à la justice, et sur ce premier point, ma conscience est en paix. 

« Ma seconde déclaration est, qu’ayant laissé subsister intacts, et tronqué seulement quantité de chapitres de l’auteur premier de cet Ouvrage, si mes lecteurs allaient par hasard trouver, soit dans le plan ou l’intérêt de ce Roman, soit dans le discours ou l’entretien des divers acteurs et interlocuteurs que j’y ai mis en scène, et qui font marcher l’action, quelques idées neuves ou gaies qui leur plaisent, ou quelques méchants raisonnements auxquels ils trouveraient à redire, ils pourront, avec d’autant plus de franchise et de sincérité, je les en préviens, m’adresser leurs éloges ou leur blâme, que ne pouvant savoir, à moins de le deviner (car je leur dirai sûrement pas), ce qui dans cet ouvrage est de mon chef ou de celui de mon devancier, je serai toujours en droit de reverser sur le compte de ce dernier les justes critiques qu’ils en pourraient faire, et généralement tout ce qu’il y aurait de peu de flatteur pour moi, dans le jugement qu’ils en porteront.
« En voilà assez, je crois, pour mettre mon amour-propre d’auteur en repos. » 

Le marquis de Puységur dit la vérité en déclarant que son roman est presque identique à celui de l’auteur du Magnétiseur amoureux, le livre du marquis est le même que celui qu’on ne peut pas lire, mais qu’il dut lire pour pouvoir écrire le sien. Le marquis aurait publié « son » livre pour préserver la bibliothèque universelle. 

La vérité est que le livre est là, sous les yeux du lecteur, mais la lecture ne coïncidera pas avec le livre, le livre est dissimulé par un livre presque identique à celui qu’il dissimule, la vérité du livre est dans son action à distance, dans l’action à distance d’une main qui écrit, la main de Puységur qu’il croit pouvoir confondre avec celle de Charles de Villers. La lecture est non à distance, mais dans la distance, ou bien la vérité serait dans la distance d’une lecture à distance. 

Edmond Madaule ignorait, selon son frère, l’existence du marquis. Pierre Madaule, lui, ne l’ignorait pas. La vérité, aussi bien celle du livre (mais lequel ?) que celle de la lecture, n’est-elle pas aux prises avec un spectre réclamant son dû. Le spectre n’arrive pas ici par hasard, il fut aussi mon tourment, une lecture hantée par le soupçon de ne pas lire. Au sein de La Grande Bibliothèque s’est installée une crypte autour de laquelle ne cesse d’errer le fantôme de l’auteur du Magnétiseur amoureux, ou ceux qui en prennent le déguisement. […

Bulletin n°19 - Lecture en ligne. « Le Premier cercle de l'égrégore », épisode 2. – A propos de Puységur : La Grande Bibliothèque, Flammarion « Textes », 1983 par Francis Cohen — Parutions / Exposition.

Suite de la lecture…

Charles de Villers est l’auteur du Magnétiseur amoureux et le marquis de Puységur en est l’éditeur d’une version largement remaniée par lui. Pierre Madaule n’aurait-il pas, avec les écrits de son frère, joué le rôle que le marquis joua avec Le Magnétiseur amoureux de Charles de Villers ? Edmond Puységur n’est pas le double de Puységur ; en éditant les écrits de son frère, Pierre Madaule a joué le rôle du marquis et assigné par conséquent à Edmond Madaule le rôle de Charles de Villers qui publia en 1807 un livre qui doit se trouver dans La Grande Bibliothèque et dont il est impensable qu’il n’ait pas été consulté par l’un des deux frères. Ce livre est L « Érotique comparée » de Charles de Villers d’Edmond Eggli.

Cliquer ici pour télécharger le deuxième épisode de l’enquête de Francis Cohen dans le labyrinthe de La Grande Bibliothèque.

Parutions

Bernard Collin, Copiste, édition établie par Lola Créïs, Nous « Disparate », mai 2017.

Danielle Mémoire, Les Auteurs, P.O.L, octobre 2017.

Exposition

Thomas Demand, Alexander Kluge, Anna Viebrock : The Boat is leaking. The Captain lied, 13.V.2017 – 26.XI.2017, Fondazione Prada, Venezia.

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