Bulletin n°01

Lecture par Éric Pesty

A propos de : Pascal Poyet, Compadrio, Contrat maint, 1998.

Dans la continuité logique de son travail d’écriture, Pascal Poyet soutient que la densité de sens fait le poème, en vers ou en prose. À cette thèse, chaque livre apporte une nouvelle démonstration, déterminé qu’il est par le choix d’un vocabulaire singulièrement limité : constellation éparse de vocables dont il s’agit de déployer, par la mise en œuvre d’un projet syntaxique adéquat, le potentiel polysémique. La densité de sens résulte d’un double mouvement : le dépouillement calculé de la palette verbale à quoi répond, sur un plan sémantique, la saturation programmée des termes retenus.

D’un tout autre point de vue, on pourrait comparer chaque livre de Pascal Poyet à un théâtre, où évoluerait un nombre réduit de mots-personnages : une colonie souple d’individus linguistiques, une structure de « résidents susceptibles ». C’est la sociabilité de ces mots-personnages qu’il s’agit d’interroger, leur capacité à vivre ensemble dans les phrasés proposés ; ou encore, pour reprendre un concept élaboré par Roland Barthes dans son premier cours au Collège de France, leur idiorrythmie. Chaque livre est le théâtre de cette sociologie, autant que le récit de cette expérience. Expérience utopique, vouée à l’inachèvement, mais qu’il reviendra au livre suivant, moyennant une nouvelle délimitation du théâtre et donc un choix différent du vocabulaire, de renouveler. Je ne dirai pas que, de livre en livre, se décrit une biographie de leur auteur.

Emblématique de cette économie d’écriture, le premier « cordel » de la collection Contrat maint, intitulé Compadrio. Les vocables les plus employés : résident, transiger, retrait et retirants, interpolation, forment l’armature du texte et les personnages de ce théâtre, au centre duquel, en manière de sténogramme pour le projet poétique, figure le concept d’entente.

Entente constitue, quantitativement, le centre de la configuration lexicale du texte ; il est également le sténogramme du projet poétique dans la mesure où il peut être analysé comme une reformulation conceptuelle du mot brésilien qui titre ce livre bref. Concept polysémique : « compréhension », « écoute », « conciliation », le programme syntaxique du livre viserait précisément à conserver au mot d’entente la virtualité de ces significations concurrentes dans l’ensemble de ses emplois : « Chacun des logements, constitué de / l’ancienne entente, apparaît alors isolé / dans un retrait entendeur. »

Concept critique, dans la mesure où l’ambiguïté sémantique qui le caractérise interdit, ce faisant, toute réalisation communielle de l’entente ; le vocable se double d’une dimension réflexive. Si la phrase suscitée évoque des « logements », qui impliquent les conditions d’une sociabilité, réglée selon les lois d’une « ancienne entente », tout en préservant à chacun d’eux « dans un retrait entendeur » un apparent isolement – la phrase peut aussi bien commenter le projet poétique lui-même, et le rôle des mots-personnages dans l’économie d’écriture, pour peu que l’on substituât au mot « logements » celui de positions syntaxiques, à « l’ancienne entente » les règles grammaticales traditionnelles, et à « retrait entendeur » celui de capacité réflexive.

On peut aller plus loin dans le sens d’une essentielle réflexivité du concept d’entente dans Compadrio. Si l’on s’avise que ce cordel, réalisé à l’instigation du plasticien Jean Stern, met également en jeu, dans son projet, la question du rapport et donc de l’entente entre écriture et dessins, et cela, dans l’espace spécifique du livre, aménagé par le fameux pliage en quatre d’une page de format courant. (Même si sujet à caution, j’aimerais attribuer à Jean Stern le choix de la forme du livre, en toute cohérence avec le dessin de couverture qui ouvre Compadrio.) Si bien que le pliage, qui exige une participation active du lecteur dans l’élaboration de l’objet, permet également de substituer, à la traditionnelle relation polaire écrivain/artiste, une relation interpersonnelle, triangulaire : écrivain, artiste et lecteur-spectateur. La mise en rapport de ces trois instances, en relation d’idiorrythmie, fait compérage : « compadrio de l’entente et de l’objet ».

Aussi bien : Compadrio n’annonce-t-il pas, dans la mise en scène de cette entente, l’une des ambitions les plus apparentes de la ligne éditoriale de Contrat maint dont le premier titre forme, pour les quarante volumes parus à ce jour, le manifeste précis ?

Bulletin n°1 - Lecture en ligne. Pascal Poyet, Compadrio, Contrat maint, 1998 - Éric Pesty Éditeur

Notes

Anne Parian, 33 segments à assembler, chez l’auteur, avril 2002.

Une trentaine de photographies (images saisies parmi un quotidien d’objets parfois corrompus, évoquant la grâce retenue des Polaroïds de Walker Evans) imprimées en noir et blanc ou en couleur, assemblées en un domino de trente-trois pièces : de 40 par 20 cm l’une. À jouer chez soi, en prévoyant une surface au sol susceptible d’accueillir le déploiement de la partie.

Le Livre de Catulle de Vérone, traduit du latin, présenté et annoté par Danièle Robert, Actes Sud « Thesaurus », avril 2004.

« Expérience de vie totale », pour un livre total, dans une traduction verte.

Jean Échenoz, Ravel, Éditions de Minuit, janvier 2006.

Voilà. Il a cinquante-huit ans. Après le polar, le roman picaresque, la nouvelle, le roman d’espionnage, le récit sublunaire, les annales et le panégyrique, il vient de régler son compte à la forme narrative de la biographie. Que faire à présent.

Parutions

Marie-louise Chapellemettre. Théâtre Typographique, mars 2006.

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