Bulletin n°10

Roger Giroux : Un Travail – souffrir non souffrir – par Jean Laude

Texte initialement paru dans Terriers n° 5, septembre 1978 – Numéro Spécial Roger Giroux.

La Délie

Le silence antérieur, tel était le lieu de cette absence : un pur espace, un point. Quelle phrase aurait pu concevoir ce mouvement sans asile, ce pur pouvoir : souffrir non souffrir ? (Retrouver la parole)

Le poème impossible…

Une première fois publié dans Éléments (1951), la revue de Maurice Roche, Retrouver la parole a été repris par Jean Paris en 1956 dans son Anthologie de la Poésie Nouvelle. Les versions diffèrent de manuscrit en manuscrit d’un même texte ; d’une publication (en revue, dans des anthologies) à leur édition (en volume), elles forment une constellation, ou un réseau, où se trace le sens même du travail. Roger Giroux transforme ses écrits.

C’est l’être – si je puis dire – du poème non écrit, à écrire – en tant que ce poème résiste, en tant qu’il a son mot à dire (ou à ne pas dire) – qui est en cause et qui est cause. Du poème non écrit, du poème à écrire : de ce poème exigeant, ce poème impossible qui est questionnement, qui ne se laisse approcher que pour se dérober, ce poème non écrit qui risque, met en péril ce qui en a été déjà écrit.

…et le devoir de poésie

En quittant Lyon pour Paris en 1945, Roger Giroux a délibérément opéré un choix. À Paris, il rompt avec un langage et une pratique inadmissibles. Il effectue un retournement radical : un renversement et un retour ; il interroge la poésie de Lyon. Il travaille à partir de la Délie et de la Saulsaye. À ce moment-là, relire Scève, c’était choisir de fonder la poésie dans son impossibilité et dans son devoir : dans la déchirure qui, au sein d’une même figure, unissait l’impossibilité et le devoir de poésie.

Écrivant dans cette déchirure où il avait choisi de fonder sa poésie, Roger Giroux entend frayer une voie. Mais cette voie, ce n’est point pour inviter à la suivre, à en prolonger le tracé : c’est pour inciter à en ouvrir, à en frayer une, nouvelle. Aussi bien n’inscrit-il pas son travail dans une lignée, dans la succession, dans le prolongement de Maurice Scève, il reçoit le souffrir non souffrir comme une invitation – voire comme une objurgation à écrire le livre, comme le savoir de l’impossibilité, du devoir du livre.

Lire Retrouver la parole

Non point parce que, chronologiquement, le plus ancien des textes qui se produiront ensuite, mais parce que, décisif, marquant violemment une rupture, une distance prise et désormais tenue, il faut commencer par lire Retrouver la parole.

Retrouver la parole est ce texte initial qui ouvre sur la négation du devoir, par le titre, fixé, qui s’ouvre sur la perte progressive (vertigineuse ?) de la Parole. Chronologiquement le plus ancien, ce texte serait celui de la fin du livre, si le livre pouvait s’achever, serait celui qui, après le livre, si le livre était achevé, désignerait le vrai début ? Après mais dans (déjà) L’arbre le temps – dont le devoir fut pourtant impérieux, fixé par le texte initial (qui, lui-même, au cours des versions successives…) – Roger Giroux s’avancerait dans le silence antérieur, vers le lieu de cette absence : un pur espace, un point. Mais ce silence, le lieu de cette absence, ce pur espace, ce point sont ceux d’un désir : Lyon, c’était antérieur, lieu non pas du silence, au contraire : de la logorrhée. Il faut donc les fonder, non plus comme imaginaires, mais réellement. Opérer un renversement intégral : aller vers ce qui est antérieur et qui (pourtant) n’a pas eu lieu, vers cette absence (dont l’on peut toutefois supposer qu’elle machinait la logorrhée.) Aller jusqu’à ce point, ce pur espace qui, cette fois, ne sont pas dits, qui sont, cette fois, matériellement écrits : pour l’un à la première page (de titre ?) de Fragment 3, pour l’autre aux quatre pages suivantes, dont l’une : blanche, dont les trois autres sont divisées, au cinquième de leur hauteur, par une ligne continue (du bord gauche au bord droit.)

Bulletin n°10 - Lecture en ligne. « Roger Giroux : Un Travail – souffrir non souffrir » (texte initialement paru dans Terriers n° 5, septembre 1978 – Numéro Spécial Roger Giroux), par Jean Laude — Parutions.

Suite de la lecture…

Une question

À la première ligne apparaît une question : j’étais l’objet d’une question qui ne m’appartenait. Cette question ne sera jamais explicitement désignée, jamais identifiée dans la suite des autres textes – publiés, ou écrits, ou « inachevés » – si ce n’est (peut-être) formulée dans le numéro 15131272 de Llanfair… Le texte s’ouvre sur le questionnement et se ferme sur l’apologie du pin. Dès à présent, j’indique la récurrence, depuis le titre du premier livre édité, d’un signe : du signe de l’arbre, de l’arbre comme signe, comme signal.

La question non désignée, non identifiée (mais se posant partout) traversant tout ce qui a été écrit – (et surtout ce qui n’a pas été écrit) : la mettre (initiale du texte) entre provisoires parenthèses. D’elle, pour la poser, il ne pourra s’agir qu’une fois le texte lu (tout le texte lu) (ce texte-là qui est début, qui n’est que le début de ce qui s’inachèvera, qui est fin, qui n’est que la fin de ce qui commencera après lui : la fin de ce que le décès interrompra et qui la devait rejoindre comme commencement), sérieusement, difficilement lu.

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Parutions

Michèle Cohen-Halimi : « Nom-lieu », Anagnoste n° 14, dans Cahier Critique de Poésie n° 19, mars 2010.

Marie-louise Chapelle : Prononcé second, Poésie/Flammarion, octobre 2010.

Marie-louise Chapelle : À la corde, Contrat maint, octobre 2010.

Victoria Xardel : « Un lieu, un nom, une demeure et sa loi », Pension Victoria n° 18, décembre 2010.

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