Louis Zukofsky

par Jacques Roubaud

« Le grand texte de Zukofsky est le poème “A” en 24 parties, commencé en 1928. Après “A” 1 – 12, ont paru successivement : “A” 13 – 21, “A” 24 (qui entrelace quatre “voix” dans le texte, simultanées, au-dessous d’une ligne mélodique haute, constituée par une partition de lessonspour le clavecin de Georg Friedrich Haendel), enfin “A” 22 – 23, tout récemment (automne 1975).
« Un autre livre, All, recueille les “short poems” ; en outre, Zukofsky est l’auteur d’une longue prose, à la fois étude critique et exposé d’une poétique : Bottom : on Shakespeare, et d’une très surprenante traduction “phonique” de Catulle, Catullus, où le poème américain s’astreint à suivre une ligne complexe fournissant à la fois interprétation sémantique et appropriation en langue moderne des sons.
« Le poème “A” 9, dont la première moitié est donnée ici dans la traduction exemplaire d’Anne-Marie Albiach1, est un des moments culminants du grand livre de Zukofsky : il a, pour double point de départ, le Capital de Marx et la “canzone” Donna me pregha, la “chanson doctrinale” de Guido Cavalcanti (l’aîné et le maître de Dante), dont il reproduit la structure métrique, d’une complexité presque insurpassable. La deuxième moitié de “A” 9, écrite à dix ans d’intervalle de la première2, sur le même schéma de rimes et presque sur les mêmes mots (mais “traduisant” la théorie de la valeur en théorie de l’amour), inaugure le deuxième versant de “A”, la première moitié constituant la conclusion du versant initial du poème.
« Trois aspects de l’œuvre de Zukofsky sont particulièrement remarquables :
– l’écriture d’un très long poème poursuivie sur près de cinquante ans, poème non autobiographique, ou plutôt autobiographique dans un sens qui n’est pas le sens habituel puisque selon Zukofsky, “ces mots sont ma vie” ;
– la référence implicite à la tradition des troubadours et du dolce stil novo (Cavalcanti) : le livre des poèmes courts, All, contient l’extraordinaire sextine révolutionnaire “Mantis”, suivie de son poème-commentaire “Mantis : an interpretation” qui est hommage critique à Arnaut Daniel et Dante ;
– le projet de traduction de poésie latine que constitue le Catullus, conforme, avec quel pouvoir de surprise, au “make it new” (“faites du neuf”).
« Ces trois aspects montrent que Zukofsky est, simultanément, dans la ligne de Pound, et une sorte d’anti-Pound, par les réponses autres qu’il donne aux mêmes questions posées comme essentielles (allant à mon sens beaucoup plus loin3). »

(Extrait de la « Présentation » à Vingt poètes américains
Du monde entier/Gallimard, 1980)

1    Parue dans Siècle à mains n°12 (1970).
2    1938 – 1940 pour la première partie, 1948 – 1950 pour la deuxième.
3    On a d’ailleurs le sentiment qu’à la différence de Pound, dont l’héritage est désormais assimilé, Zukofsky n’est encore guère compris, ses préoccupations formelles allant nettement à contre-courant de « l’indétermination » dominante.

Chez d’autres éditeurs :

(En français uniquement)

Dernière mise à jour 2005

Livres
  • René Taupin et Louis Zukofsky, le Style Apollinaire, les Presses modernes, 1934.
  • [Divers poèmes] dans Serge Fauchereau, Lecture de la poésie américaine, Minuit, 1968 ; édition augmentée et illustrée, Somogy, 1998
  • [Divers poèmes] dans Serge Fauchereau, 41 Poètes américains d’aujourd’hui, Denoël/Lettres Nouvelles, 1970
  • « A » 9 (première partie), traduit par Anne-Marie Albiach, dans Vingt poètes américains, Jacques Roubaud et Michel Deguy éd., Du monde entier/Gallimard, 1980.
  • « A » 22, traduit par Jacques Roubaud, dans Vingt poètes américains, Jacques Roubaud et Michel Deguy éd., Du monde entier/Gallimard, 1980.
  • Un objectif & deux autres essais, traduit par Pierre Alferi, Un bureau sur l’Atlantique/Royaumont, 1989.
  • « A » sectionsà 7, traduit par Serge Gavronsky et François Dominique, Ulysse fin de Siècle, 1994.
  • « A » 10 (Fragments) ; « Une ère en un point de la durée » ; « Poèmes empruntés au recueil 55 poèmes » et « Roses », traduits par Jacques Roubaud, dans Jacques Roubaud : Traduire Journal, Now/Nous, 2000.
  • « A » sectionsà 11, traduit par Serge Gavronsky et François Dominique, Ulysse fin de Siècle, 2001.
  • « A » section 12, traduit par Serge Gavronsky et François Dominique, Ulysse fin de Siècle/Virgile, 2003.
  • 80 fleurs, traduit par Abigail Lang, inédit.

Revues

  • « A » 9 (première partie), traduit par Anne-Marie Albiach, Siècle à mains n° 12, printemps 1970.
  • « A » 9 (première partie), traduit par Anne-Marie Albiach, précédé de « Contrepoint », Argile n° 13 – 14, printemps été 1977.
  • [Divers poèmes] dans « Une littérature méconnue des U.S.A. » par Serge Fauchereau, Europe n° 578 – 579, juin-juillet 1977
  • « Pour Zadkine », traduit par Martin Richet, Action restreinte n° 1, décembre 2002
  • « Somme amalgammée [Anne-Marie Albiach « A » 9 (première partie) + Louis Zukofsky : “A” 9 (Second Part)], Stanza I », traduit par Jacques Roubaud, Cahier Critique de Poésie n° 5, « Dossier Anne-Marie Albiach », février 2003.
  • « Atomique et à hydrogène, bombe », traduit par Martin Richet, Action restreinte n° 2, juin 2003
  • « Poème commençant “La” » traduit par Jacques Roubaud, Finn° 17, juillet 2003.
  • « Les Temps Modernes », traduit par Benoît Turquety Fin n° 23, juin 2005.