Bulletin n°29

« Chère Vilde ». Une lettre de Jørn H. Sværen traduite du norvégien par Emmanuel Reymond.

Oslo, le 7 février 2022

Chère Vilde,

[…] je commence avec quelques mots, une ligne. Celle-ci, par exemple :

rassemblez et dispersez

Je ne me souviens pas d’où elle vient. Peut-être de la théorie militaire, la formation des troupes. […] C’est à la fois un impératif et une description de ma façon de travailler. Je collectionne des mots et des phrases, je les écris sur de petits bouts de papier et les disperse sur la table. Je les déplace, j’essaie différentes combinaisons, je les place au-dessous les uns des autres, à côté les uns des autres, je les rassemble en sections, et tôt ou tard, j’ai peut- être écrit un petit livre. J’ai écrit tous les livres des Éditions England de cette façon, et deux livres pour l’éditeur suédois Chateaux. […]

J’ai publié deux plus grands recueils, Dronning av England [Reine d’Angleterre] et Britisk museum [Musée britannique], tous les deux aux Éditions Kolon. Le processus est le même, seulement avec de plus grandes unités. Je disperse de petits livres sur le sol, et des images et lettres et autres textes, et les déplace. […]

Il arrive que je publie quelques lignes dans des revues, peut-être des lignes qui n’ont pas encore trouvé leur place dans un livre. Ces deux lignes, par exemple, ont d’abord été imprimées en suédois, sur la même page, dans la revue Slot :

un enfant porte un enfant

pourquoi est-ce beau

Elles ont plus tard été imprimées sur des doubles pages séparées dans le livre Klokkene [Les horloges], composant la première des trois parties du livre. Je dispose toujours les lignes sur des pages de droite et laisse les versos, les pages de gauche, vides. Les lignes sont isolées, et l’œil peut se reposer, tandis que les pensées vagabondent. […]

Il arrive aussi que je choisisse quelques lignes d’un livre et les publie comme un texte indépendant. L’œuvre finie n’existe pas. Ces deux lignes, par exemple, sont imprimées sur des doubles pages séparées dans le livre Tre bøker [Trois livres], composant la dernière des trois parties du livre :

les grands mots

pardonnez-leur

Elles ont d’abord été imprimées comme un texte indépendant en français, dans la revue Pension Victoria, et ensuite en norvégien dans l’anthologie Gruppe 10 [Groupe 10], ainsi :

LES GRANDS MOTS

pardonnez-leur

Notez les lettres capitales – les grands mots, tout simplement – la première ligne est maintenant un titre. …

Cliquez ici pour lire dans son intégralité la lettre de Jørn H. Sværen à Vilde – rehaussée de photographies des publications évoquées par l’auteur.

n° 29

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note, parutions

 

Note

« L’essai de Ron Silliman “Disparition du Mot/Apparition du Monde”, écrit au début de sa carrière et reproduit ici, applique la notion de fétichisme de la marchandise à des formes d’écriture descriptives et narratives conventionnelles où le mot, les mots, cessent d’être évalués pour ce qu’ils sont eux-mêmes mais le sont seulement au regard de leurs propriétés en tant qu’instrumentalités nous menant à un monde en-dehors ou au-delà d’eux, si bien que les mots, le langage, disparaissent, deviennent transparents, laissant derrière eux l’image d’un monde physique que le lecteur peut alors consommer comme s’il s’agissait d’une marchandise. » (« Reposséder le mot » dans L=A=N=G=U=A=G=E le livre, édité par Bruce Andrews et Charles Bernstein, traduit de l’anglais (États-Unis) par Amélie Ducroux, PURH, « To », juillet 2021.

 

Parutions

Victoria Xardel : Le Zbeul suivi de La victoire du peuple, L’Ours Blanc n°34, Éditions Héros-Limite, mai 2022.

Luc Bénazet : La Masse forêt, P.O.L, octobre 2022.

Peter Gizzi : Et maintenant le noir, traduit par Stéphane Bouquet, Éditions Corti « Série américaine », octobre 2022.

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