Bulletin n°34

« Prends ton temps ! », première lettre – par Pascal Poyet 

Pascal Poyet donnera à voir et à entendre, aux Laboratoires d’Aubervilliers le samedi 23 novembre 2024, un nouveau parcours dans sa traduction mais des Sonnets de Shakespeare. Pour annoncer cette rencontre (programmée dans le cadre des « Dernières nouvelles »), nous publions en trois bulletins exceptionnellement mensuels – les 20 septembre, 20 octobre et 20 novembre prochains – trois lettres qu’il nous a confiées, dans lesquelles il revient sur sa façon de travailler, son rapport à la langue et à la parole. Ces lettres ont été lues au public du Centre international de poésie Marseille, le samedi 14 octobre 2023, en réponse à l’invitation qui lui avait été faite au cycle de rencontres « solo ».

« Les philosophes devraient se saluer entre eux ainsi : “Prends ton temps !” »
Ludwig Wittgenstein, Remarques mêlées.

Première lettre.

Ces dernières semaines, je prépare l’une de ces prises de parole qui m’occupent depuis 2019 et qui consistent, généralement pendant une vingtaine de minutes, à traverser en public un ou plusieurs sonnets de Shakespeare en n’en retenant que quelques mots, dont je matérialise la place d’un geste de la main sur un sonnet virtuel devant moi ; mots par lesquels, selon la formule qui est désormais la mienne, j’entre dans le sonnet.

J’appelle ces prises de parole expositions. Je les considère comme des traductions. Pas des traductions en cours, pas les travaux préparatoires à la traduction proprement dite, mais des formes de traduction en soi, doublées, je dirais, de la tentative d’échafauder quelque chose sur l’intraduisible. Ne serait-ce qu’un récit.

Préparer ce genre de prise de parole implique de la reprendre chaque jour. De la dire au moins une fois par jour, de la chercher en la disant à voix haute. Ces premiers essais sont généralement adressés à un auditoire constitué des seuls objets de la pièce où je travaille, ou, par beau temps, des arbres et des bosquets du jardin public voisin, dont la bienveillance n’a d’égale que l’impassibilité. Avant, je m’enregistrais. Puis j’écoutais l’enregistrement de la veille avant de reprendre l’exposition. Je ne le fais plus systématiquement. Peut-être parce que j’ai compris que ce travail est aussi un travail d’oubli et que je veux travailler avec ça, l’oubli. En tout cas, lors de sa préparation, j’évite d’écrire l’exposition. Je n’écris ce que j’ai dit qu’après l’avoir dit en public. Je ne le transcris pas, je le refais par écrit. Les pièces réunies dans J’ai dormi dans votre réputation ont été produites de cette façon.

Dans la répétition, j’espère trouver quelque chose. Ce peut n’être qu’une façon de dire ou une manière d’aller d’un mot à un autre, mais ce peut être aussi quelque chose de neuf, que je n’avais pas vu. Quand cela arrive, il faut que je revienne au sonnet pour voir si je n’ai pas rêvé (!) et pour ajuster mon propos. Exactement comme le fait tout traducteur retournant voir l’original pour s’assurer qu’il ne s’est pas trop éloigné du texte, comme on dit.

Il est toutefois très rare que je trouve quelque chose quand je parle en public. Pourtant, si j’ai décidé de ne pas lire ces expositions, et de les dire, c’est aussi pour que quelque chose de cet ordre arrive. (…)

Cliquer ici pour lire l’intégralité de la lettre première de Pascal Poyet

n° 34

Lecture en ligne
exposition

 

Relecture d’actualité :

Jean François Billeter : Leçons sur Tchouang-tseu, Allia, 2002.

Exposition :

Claude Horstmann : Extra Stone Next Surface, 8 juin-13 juillet 2024, Laura Mars Gallery, Berlin.

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