Bulletin n°35

« Prends ton temps ! », deuxième lettre – par Pascal Poyet 

Pascal Poyet donnera à voir et à entendre, aux Laboratoires d’Aubervilliers le samedi 23 novembre 2024, un nouveau parcours dans sa traduction mais des Sonnets de Shakespeare. Pour annoncer cette rencontre (programmée dans le cadre des « Dernières nouvelles »), nous publions en trois bulletins exceptionnellement mensuels – les 20 septembre, 20 octobre et 20 novembre prochains – trois lettres qu’il nous a confiées, dans lesquelles il revient sur sa façon de travailler, son rapport à la langue et à la parole. Ces lettres ont été lues au public du Centre international de poésie Marseille, le samedi 14 octobre 2023, en réponse à l’invitation qui lui avait été faite au cycle de rencontres « solo ».

Je recopie le début de la seconde partie de Regardez, je peux faire aller Wittgenstein exactement où je veux (Théâtre Typographique, coll. « Intraduction », 2018). Comme ailleurs dans ce (petit) livre, c’est Ludwig Wittgenstein qui parle ; moi, je décris, la traduction notamment : 

« Toute explication doit disparaître.

Une simple description prendre sa place.

Et dans quelle langue, cette description ? — Eh bien ! dans une langue connue de nous.

Le mot n’est pas “langue” [en allemand], mais “autre” : dans une autre connue de nous. »

J’ai scotché toute une série de bouts de textes ensemble. Cette longue guirlande de paperoles découpées forme la trame de cette

deuxième lettre.

Récemment, j’ai repris certaines traductions que j’avais faites des sonnets de Shakespeare en revenant mot à mot à l’original, comme en me demandant : « Mais au fait, il avait mis quoi, Shakespeare ? », et en mettant les mots, traduits autant que faire se peut littéralement, entre guillemets. Comme des citations. J’ai récrit la traduction d’une cinquantaine de sonnets de cette façon. J’appelle ça traduction en mention. Tous les mots sont entre guillemets, parfois deux ou trois mots ensemble. Cela forme de petits groupes sur les vers : ici un pronom avec son verbe, là un pronom seul, ailleurs un nom, ou toute une locution adverbiale, et ainsi de suite. De petits groupes grammaticaux, phonologiques, rythmiques. Tout ce petit peuple attend maintenant que j’enlève les guillemets, un peu comme on décoffrerait un ciment. Je ne sais pas ce qu’il se passera lorsque je le ferai. J’attends d’avoir un peu de temps devant moi parce que je ne sais pas si le ciment tiendra, ou s’il s’effritera par endroits, ou se fendra carrément. Je ne sais pas si je dois m’attendre à de gros travaux. – Mais assez d’images !

Les guillemets semblent dire comme dans cet autre fragment de Wittgenstein : « Description : ceci est ce que je vois maintenant. » Dans ce fragment, Wittgenstein préconise : « Laissez tomber le “vois”, laissez tomber le “maintenant” », et même : « Laissez tomber le “je” ». Une note dit que le texte original incluait aussi les mots « Laissez tomber le “ceci” », mais qu’ils ont été barrés. Si l’on suit la préconisation de Wittgenstein, cela donne : « Description : ceci est ce que. » Si l’on tient compte de la préconisation de l’original et qu’on abandonne le « ceci », cela donne : « Description : est ce que. » En anglais, langue dans laquelle Wittgenstein a écrit ces mots (en préparation d’un cours à Cambridge), cela donne : « Description : is what. »

Cliquer ici pour lire l’intégralité de la deuxième lettre de Pascal Poyet

n° 35

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Parutions

Anne-Marie Albiach : FEM. Kören [Cinq le Choeur] (poesi & kritisk prosa 1966 – 2012), efterord av Isabelle Garron, traduit en suédois par Helena Eriksson, OEI editör, 2024.

Anne-Marie Albiach : spindelportarna [les portes arachnéides], traduit en suédois par Helena Eriksson, Undersökningar XIV/OEI editör 2024.

Exposition

Claire Colin-Collin : Un certain temps, Maison du Cygne/Centre d’Art et Jardin Remarquable, Six-Fours Les Plages, 13 juillet-29 septembre 2024.

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