Bulletin n°37

Sur Perles qui furent (trad. Pierre Alferi) de J. H. Prynne – par Françoise de Laroque

« Une résille de filaments clairs et lacés serré qui retenait le soleil biais du soir… », cette ouverture contemplative (en prose) de Perles qui furent, pourrait se lire, malgré l’imparfait, comme une description de la suite du poème : quadrillage des quatrains, quatre par page (1), résille des allitérations, assonances, rimes croisées et rimes intérieures, résille de la syntaxe.

Un poème n’est-il pas un filet pour capter non le monde mais sa lumière à travers les choses (leur image sonore et visuelle) que le poète choisit et tisse à sa manière ? Le lacis tressé initialement par J. H. Prynne, repris par Pierre Alferi, avec nécessairement de nouveaux fils, brille et résiste à une lecture qui voudrait les dénouer.

Les fils sémantiques sont brefs et changent constamment de registre : « Orange-homard », « Sur le lit de cailloux, un sourire en déclin », « voyants d’erreur au sein », « l’herbe humide en corps 6 ». La syntaxe, malgré les rapprochements inusités, maintient les mots dans le cours en quatre vers d’une phrase unique (2) jusqu’au bout de la strophe. Les sons répétés densifient le réseau de leurs entrecroisements. Le jeu entre « joue » et « luire », « le rouge fait joue », « au jour », « la rougeur de reluire », « il rouge luit » des premiers quatrains ressurgit à la quinzième page dans cette autre combinaison « contre un horizon fendu, érigé / furieux, il jouit ». La joue féminine réapparaît à la fin sans la larme qui reluisait, juste touchée par le temps « gai de la joue qu’il touche ». Le poème se termine sur un futur et la marche à la fois régulière (vers de 6 pieds) et syncopée d’un couple – le « nous » contemplateur du préambule ? (« nous nous en sommes fait la remarque » ) – : « Et mot après mot, pas / à pas suivant regain / ils iront parlant sage / frisson, l’espoir maintient. »

La douceur « il est doux de vaguer » n’est pas la seule tonalité. « Offusqué ! » Par une « insulte au charme », ou un « charter de xénophobhaine » ? L’humour se mêle à l’indignation. « As-tu / prévu d’inséminer en procès sa clinique ». Une interjection : « Jésus ! » répond à une arnaque au « jus de vache » juste avant la métamorphose de chaises en tables.

La lumière qui filtre à travers les mailles est rouge et biaise comme le couchant ou comme d’autres lignes tracées dans le poème, oblique, angle obtus, triangle scalène. La lumière prend aussi d’autres teintes. La page XIV est « tout en jaune », la XIII verte plutôt. Une autre (XVIII) blanchit, scandaleuse (blanchiment ?), neigeuse, clinique, spectrale.

Le poème rappelle que la poésie est avant tout charme, carmen. Orphée traverse le quatrième quatrain domptant les fauves, muni d’un gemme de la couronne. Le lacis dénonce, contourne, détourne ce qui compromet le chant qu’il libère.

Charme « scévien » de certains quatrains dans cette très belle traduction, « il tendre cède, il rouge luit ». Alferi noue les fils selon les ressources de sa langue, acclimate les perles. Ne citons que cet exemple de fidélité où « cœur à cœur fendre » (« heart to heart breaking ») aiguise l’image initiale par l’ellipse de la pierre et le froid.

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(1) Deux ruptures dans cette régularité : une page brève (deux quatrains, un distique) précédée dans un cas, suivie dans l’autre, d’une distension des mailles du filet, soit une page de quatrains fendus de blanc.

(2) Quelques rares exceptions. Et les quatrains des deux pages à filet distendu forment une seule longue phrase.

n° 37

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Relecture d’actualité

Thomas Ruff : Works, 1979 – 2011, Schirmer/Mosel – Haus der Kunst, 2012.

Parutions

Claude Royet-Journoud : Théorie des prépositions, P.O.L, 2007 ; La Finitude des corps simples, P.O.L, 2016 ; L’usage et les attributs du cœur, P.O.L, 2021 ; Une disposition primitive, P.O.L, 2024.

La Barque dans l’arbre n°7, hiver 2024 – 2025, numéro consacré à Claude Royet-Journoud, coordonné par Michèle Cohen-Halimi et Francis Cohen, La Barque, 2024.

En consultation ici, le très bel article de Laurent Perez sur Claude Royet-Journoud, paru dans Artpress n°530 – mars 2025, p. 89.

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